Adieu l’argent liquide ?

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Dans la cathédrale d’Uppsala, bâtie au 13e siècle, aujourd’hui comme par le passé, les fidèles peuvent faire des dons en couronnes suédoises pendant la quête. Vous n’avez pas de monnaie sur vous ? Aucun problème. Depuis quelques années, les fidèles peuvent aussi utiliser leur carte de banque. Car dans l’un des pays les plus avancés au monde sur le plan des paiements sans numéraire, même Dieu accepte les dons via smartphone et par carte.

Les pays scandinaves et l’Islande sont, après tout, les chefs de file internationaux en matière de transactions électroniques. En Europe, des pays comme les Pays-Bas et l’Estonie leur ont emboîté le pas, mais sont encore loin derrière. « Notre pays est dans la moyenne. 20 % des commerces belges acceptent encore uniquement les paiements en liquide », explique le professeur Leo Van Hove (VUB), spécialisé en systèmes de paiement. « D’après les derniers chiffres (2017), le Belge paie par carte en moyenne 166 fois par an. Il le fait donc moins souvent qu’un Suédois (331), un Néerlandais (250) ou un Français (185). Mais nous sommes plus avancés à cet égard que les Allemands (54) et les Italiens (46). »

Le jour viendra-t-il où nous renoncerons définitivement aux espèces ?

« On parle déjà de sociétés sans numéraire depuis les années 1970 », explique le professeur Van Hove. « Si cela signifie pour vous de pouvoir payer électroniquement partout, alors oui, nous évoluons bel et bien dans ce sens. Si vous pensez plutôt à la disparition complète de l’argent liquide, alors ce ne sera pas pour tout de suite. Tant que les banques centrales imprimeront de la monnaie, les gens en utiliseront. »

Pourquoi, quand nous avons l’occasion de payer électroniquement de façon simple et sûre, payons-nous toujours en espèces ?

« C’est une question d’habitude. Lors d’une étude menée aux Pays-Bas, de nombreux participants ont indiqué que leur carte était leur moyen de paiement favori. Mais leur comportement de paiement effectif a révélé qu’ils utilisaient en fait plus souvent les liquidités que la carte », raconte le professeur Van Hove.

Il y a quelques années, une étudiante en doctorat a fait une petite expérience à ce sujet dans le restaurant universitaire de la VUB. « La chercheuse avait placé des affiches à la caisse qui priaient les clients de payer électroniquement, “pour la sécurité du personnel”. Au bout de quelques semaines, l’étudiante a retiré les affiches. Le constat ? Le comportement des étudiants n’a pas changé pendant l’étude, et celui du personnel universitaire n’a que très légèrement évolué. Deux semaines plus tard, l’effet avait même disparu. »

Outre les habitudes, il y a aussi des malentendus. « Les gens pensent encore souvent que les magasins préfèrent recevoir les petits montants en espèces à cause des frais, indique le professeur Van Hove. Et jusqu’à récemment, les commerçants pouvaient imputer des frais de transaction. Aujourd’hui, ce n’est plus permis. Pourtant, nombre de clients pensent toujours : “pour une petite somme, ce commerçant préfère sûrement de la monnaie”. »

Une société sans numéraire : quels peuvent être les avantages ?

« Tout paiement électronique laisse des traces. S’il y a moins d’espèces en circulation, on ferme donc beaucoup de portes au travail au noir et à la fraude. De même, cela réduit les risques de braquage à l’explosif, de hold-up, de cambriolages, de vols… »

« Mais évidemment, l’avantage principal tiendrait à la disparition du coût que l’argent liquide impose à la société. D’après une étude de la BCE, nous payons en effet un prix très élevé pour notre monnaie : pas moins de 129 euros par personne par an. Ce sont les coûts liés à la conception, au matériel, à l’impression, aux transports sécurisés et à l’entreposage sous haute surveillance, à la sécurité et à la manutention des agences bancaires, à l’infrastructure (des presses aux distributeurs automatiques)… énumère le professeur Van Hove. Ces coûts sont assez invisibles pour nous, mais ils sont bien réels. Quand il faut payer pour un retrait – une mesure que bpost banque a introduite en février 2019, avant de changer d’avis –, les gens s’insurgent. Pourtant, de tels frais sont en fait passablement défendables. »

« Bien sûr, les paiements électroniques ne sont pas gratuits non plus. Ils exigent notamment des terminaux, des serveurs, des réseaux, des mesures de sécurité et de l’électricité. Mais les coûts par transaction sont considérablement plus faibles. En fait, plus il y a de transactions électroniques, plus la charge sociale des liquidités s’allège. À chaque paiement électronique que vous effectuez, vous aidez donc la société à progresser », s’amuse le professeur Van Hove.

Renoncer entièrement aux espèces : y a-t-il aussi des désavantages ?

« Bien qu’il reste aujourd’hui très peu de personnes qui n’ont pas de compte ni de carte, il y en a. Il y a aussi celles qui ont une carte, mais qui ne l’utilisent pas. Dans le cadre de la transition vers une société sans numéraire, on entend parfois l’argument que ces personnes ne s’en sortiront plus. Je trouve que ce point de vue manque d’ambition. Actuellement, il est possible d’ouvrir un compte pour un très petit montant (ou même gratuitement) avec une carte de paiement associée. Je trouve donc qu’on peut retourner l’argument : faut-il maintenir l’ensemble du système des espèces au seul profit d’un groupe aussi réduit ? Je ne suis pas de cet avis. L’éducation ou la sensibilisation – par les pouvoirs publics, par les banques – peut être la solution. Car quelle que soit la façon dont on considère la question, à l’avenir, les liquidités seront de moins en moins acceptées. Alors, les personnes qui ne savent pas utiliser un moyen de paiement électronique auront de toute façon des problèmes. »

« Un autre point important est le besoin de réglementation. En tant que consommateur, vous préférez sans doute que les sociétés ne puissent pas faire commerce entre elles de vos données de paiement (et donc de votre schéma de consommation), poursuit le professeur Van Hove. Un autre inconvénient d’une société sans numéraire est qu’il faut pouvoir compter à 100 % sur un réseau et des systèmes d’approvisionnement en énergie performants. Car en cas de défaillance, l’historique des paiements pourra sans doute être enregistré localement de manière temporaire, mais la situation deviendra vite intenable. »

Dans 20 ans, paierons-nous tous avec notre empreinte digitale ?

« Une empreinte digitale, un scan rétinien, une puce dans la main, une smartwatch ou un smartphone, un anneau… tout dépendra de ce que la société acceptera. En principe, n’importe quel gadget peut devenir une clé de paiement. Le plus facile sera évidemment de se passer de gadgets et d’utiliser son propre corps comme une clé de paiement unique, poursuit le professeur Van Hove. Les nouvelles méthodes de paiement entraînent toutefois souvent un paradoxe de l’œuf ou de la poule. Les consommateurs ne les utilisent pas si les commerçants ne les acceptent pas ; et les commerçants ne les proposent pas si les consommateurs ne les demandent pas. Cela ralentit malheureusement les développements technologiques. »

« La tendance générale est de toute manière à la dématérialisation progressive des paiements. À l’avenir, chez nous aussi, il sera possible de sortir du supermarché avec sa charrette sans passer par la caisse. En 2016, Amazon a déjà ouvert un supermarché sans caisse ni self-scan. Il vous suffit de scanner votre smartphone en entrant, et c’est réglé. »

La tendance à la dématérialisation des paiements a-t-elle un impact sur notre schéma de consommation ?

« Oui. Des recherches ont montré que les personnes qui utilisent une carte de paiement sont prêtes à dépenser plus que si elles payaient en espèces. C’est surtout dû au fait que les paiements par carte sont vécus comme “moins douloureux” que le passage physique de pièces et de billets de main en main, conclut le professeur Van Hove. D’un autre côté, il y a aussi de plus en plus de technologies intelligentes qui nous permettent de mieux surveiller nos propres dépenses… Elles ne sont pas encore infaillibles, mais elles ont le potentiel d’aider les gens à reprendre le contrôle de leur gestion budgétaire. »

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