Il y a vingt ans, en 1998, j’étais journaliste financier chez De Tijd. J’ai eu beaucoup de travail. C’était l’année des grandes fusions dans le secteur financier : Kredietbank, ABB, Cera Bank et Fidelitas sont devenues KBC ; la Générale de Banque a été absorbée par le groupe d’assurances Fortis ; l’assureur Royale Belge a été racheté par Axa ; Dexia a repris Artesia.
Cette année-là, aucune institution financière renommée n’a échappé à un profond changement identitaire. Même la Société générale, le symbole par excellence de la finance belge pendant un siècle et demi, a poussé son chant du cygne en 1998 : c’est le groupe français Suez qui a repris la Grande Dame.
Avec toutes ces fusions, la bourse de Bruxelles s’est retrouvée sous les feux des projecteurs. Investir était à la mode, et tant les autorités que les médias ont contribué à cette popularité. Des dizaines de belles entreprises ont demandé à être cotées : Kinepolis, IBA, Omega Pharma, Miko, Quest for Growth, Mobistar, EVS, Roularta, Ontex, Remi Claeys Aluminium, Retail Estates, …
Le Bel20, l’indice phare des 20 principales entreprises belges cotées en bourse, a affiché cette année-là un rendement de 43 %. Un résultat fantastique, et ce, malgré une crise d’automne mémorable : le colossal fonds spéculatif LTCM a chaviré, et a failli entraîner l’ensemble du système financier dans sa chute.
Or ces moments désagréables n’ont pas gâché le plaisir. Au contraire, ils prouvaient qu’investir pouvait donner des frissons. La bourse était et restait appréciée : le brasseur Hoegaarden faisait un clin d'œil aux investisseurs avec sa plaisanterie inscrite sur les dessous de verre, « Des problèmes d’argent ? Composez le Bel20 ! »
Les frères Zurstrassen et Grégoire de Streel, eux-aussi, ont vu des bénéfices à faire sur la bourse bruxelloise en plein boom. Ils ont porté sur les fonts baptismaux VMS-Keytrade, un courtier en ligne. Plus tard, l’expert du Net est devenu une banque à part entière : Keytrade Bank. Vingt ans plus tard, Keytrade Bank prospère aujourd’hui sous l’égide de Crédit Mutuel Arkéa.
Félicitations.
Elles sont d’autant plus méritées que cette prospérité n’était absolument pas courue d’avance. En réalité, Keytrade Bank a été fondée au moment le moins propice : la gloire de la bourse était à son apogée. Depuis lors, elle n’a fait que décliner. Le fait que Keytrade Bank ait été capable de suivre la trajectoire inverse, sur la pente ascendante, est indiscutablement une belle performance.
Mais je ne suis pas là pour encenser Keytrade Bank. Il est plus intéressant d’essayer de répondre à la question suivante : pourquoi la renommée des investissements boursiers a-t-elle fondu comme neige au soleil en Belgique ? En quête d’une réponse, j’ai voulu dresser la liste des plaies qui affligent la culture boursière bruxelloise. Je pensais en trouver mettons cinq ou six, en réfléchissant longuement. Au bout d’une demi-heure, sans me donner aucun mal, j’étais déjà à dix. Je me suis arrêté là. Ce n’était pas un exercice de réflexion des plus agréables.
Voici : les dix plaies de Belgique, frappant ce qui devrait pourtant être la pierre angulaire d’une société prospère.
- Le déclin des sociétés boursières. Dans les années 80, la Belgique en comptait encore environ deux cents. Aujourd’hui, ce contact essentiel entre la bourse et le petit investisseur a pour ainsi dire disparu – notamment à cause d’un tsunami d’exigences légales et de besoins en matière d’investissement. À ce jour, la création d’une société boursière est devenue presque impossible.
- Le phénomène Albert Frère. Le financier wallon a magistralement rassemblé les grands trésors industriels belges, pour ensuite les vendre un par un à la France il y a à peu près vingt ans. Frère a ainsi joué un rôle majeur dans la vente de Petrofina, Électrabel, Royale Belge, Cockerill Sambre et BBL, autant de joyaux de la couronne belge qui appartiennent aujourd’hui respectivement à Total, Engie, Axa, Arcelor Mittal et ING. Ce fut une prodigieuse saignée de la bourse de Bruxelles.
- Les ténors de Lernout & Hauspie. Il y a près de deux décennies, le fleuron informatique flamand Lernout & Hauspie Speech Products faisait notre fierté à tous. Début 2000, LHSP était même la cinquième plus grande entreprise de Belgique. Des dizaines de milliers de petits investisseurs ont misé leurs économies sur cette improbable success story, qui s’avéra hélas fondée sur plus de vent et de duperie que de savoir-faire technologique.
- L’exode des assureurs. Les entreprises belges étaient plus à l’aise il y a vingt ans, avec les grands actionnaires fortunés et solides, qu’avec les nombreux actionnaires anonymes et volatils d’aujourd’hui. Dans un premier temps, les gros bonnets boursiers à la Royale Belge ont vendu leurs parts belges, parce qu’ils n’étaient plus belges eux-mêmes (voir point 2). Par la suite, ils ont vendu parce que nos régulateurs ne leur permettaient plus guère de détenir des actions.
- La crise d’il y a dix ans. Beaucoup de causes et de responsables ont contribué à la crise financière de 2008. Les banques aussi ont été en tort : celles des États-Unis, en accordant massivement des prêts hypothécaires à des ménages qui ne pouvaient pas se le permettre, et d’autres dans le monde, en investissant en masse dans ces prêts sans valeur via des produits douteux. La bourse en elle-même n’avait en réalité rien à voir avec la crise. Mais le citoyen ordinaire, ainsi que de nombreuses personnalités, l’ont rendue responsable de tous les maux. C’est dommage et c’est injuste : les investisseurs qui ont pu rester tranquilles en se faisant tondre en 2008-09 (une attitude également conseillée dans les salons de coiffure) ont depuis lors largement récupéré leur argent. Malheureusement, nombre d’entre eux ont tout vendu au plus mauvais moment.
- La débâcle des actions du bon père de famille. Dexia et Fortis ont donné la gueule de bois financière à de nombreuses personnes ainsi qu’une aversion pour la bourse.
- La cloaque Arco. Le 18 septembre 2008, quatre jours après la chute de Lehman Brothers, soit au nadir de la crise, la présidente du comité de direction Francine Swiggers écrivait dans le journal des membres d’Arco : « Heureusement, il existe encore des produits financiers stables pour l’investisseur en quête d’un placement qui n’est pas sujet aux fluctuations de la bourse. Les actions Arcopar D en font indiscutablement partie, et constituent une formule financière rentable et flexible. » C’est un texte hallucinant de tromperie, néfaste pour la réputation de la bourse. Car les termes « investisseur » et « placement » sont ici employés dans un contexte où l’on « n’investit » que dans une seule action, Dexia – une imprudence qu’un investisseur ne commettrait jamais. Le malheureux dossier Arco n’a rien à voir avecl’épargne ou « l’investissement ». Le fait que le CD&V, entre autres, associe aujourd’hui encore ce dossier à la bourse dans l’espoir de gagner des voix en la calomniant soulève des questions. De fait, l’irresponsable Arco était un holding coopératif du Mouvement ouvrier chrétien (ACW en Flandre aujourd’hui beweging.net), soit un membre de la famille CD&V.
- Une orgie d’impôts boursiers. Même si la bourse n’était pas coupable de la crise financière de 2008 et du fiasco d’Arco en 2011, sa réputation a été sérieusement mise à mal. Les gouvernements Di Rupo et Michel ont dès lors prétendu gagner des voix en punissant fiscalement le petit investisseur. La série des nouveaux impôts et des augmentations est tout bonnement spectaculaire, sans vergogne. Quelques exemples des dix dernières années :
- Précompte mobilier sur les dividendes d’actions : +100 % ;
- Précompte mobilier sur les dividendes de sociétés immobilières réglementées (à l’exception de l’immobilier lié aux soins de santé) : +100 % ;
- Taxe boursière sur les transactions sur actions : +106 % ;
- Taxe boursière sur la vente de fonds de capitalisation : +164 % ;
- Suppression des strips VVPR qui donnaient droit à un précompte mobilier réduit ;
- Introduction d’une taxe sur les comptes-titres de 0,15 % à partir d’un montant investi de 500 000 ;
- Introduction, puis suppression d’une taxe sur la fortune et d’une taxe sur la spéculation ;
- Menace continuelle de l’impôt sur la plus-value.
- L’incessante campagne de dénigrement dans les médias. Les actions seraient réservées aux riches, aux escrocs, aux parieurs. Elles feraient le lit de l’inégalité – alors que c’est justement le contraire : plus il y aura de petits épargnants en actions, moins il y aura d’inégalité. En outre, le niveau de prospérité générale augmenterait, ce qui dégagerait plus de moyens pour la solidarité avec les laissés-pour-compte.
- Les taux d’intérêt plancher. Les entreprises ne voient plus l’intérêt d’une cotation en bourse, tout d’abord à cause de la charge écrasante des règles et des obligations, ensuite parce que les taux d’intérêt faibles leur permettent de se financer pour presque rien via des prêts. Dans ces conditions, pourquoi braver la paperasserie liée à une existence publique ?
Comme promis, je m’arrête ici. Il me semble que c’est déjà bien assez.
Il est pourtant nécessaire de mettre un terme à ces plaies, avant qu’il ne soit trop tard. Car la bourse est la sève de l’économie : si elle est malade, c’est toute la société qui l’est. Les gens qui sont prêts à prendre des risques sont ceux qui la font avancer. Or si plus personne n’est disposé à le faire, si tout le monde laisse son argent sur son compte d’épargne déficitaire, que se passera-t-il ? Le pays s’arrêtera de tourner, et notre prospérité partira en fumée.
Bien sûr, ce n’est pas ce que nous voulons. Nous sommes et nous restons optimistes : petit à petit, l’aversion pour la bourse atteint sa limite. Nous croyons qu’à l’avenir, assez de responsables politiques comprendront la logique et l’urgence d’une culture d’épargne saine. Nous croyons qu’un gouvernement futur prendra conscience que les épargnants doivent avoir une chance équitable de réaliser un bon rendement. Il prendra alors les mesures adaptées pour que les investisseurs et les entreprises soient accueillis à bras ouverts au lieu d’être hués. Quelles mesures ? Les possibilités ne manquent pas. Ce tableau en propose plusieurs.
7 manières de stimuler une épargne efficace
- À l’entrée en bourse, accordons aux parts de fondateur 5 (tout au plus 10) droits de vote. Ainsi, les propriétaires familiaux gardent le contrôle.
- Stimulons le commerce local des petites actions (d’une valeur boursière inférieure à 1 milliard d’euros), par exemple en réduisant le précompte mobilier sur dividendes pour cette catégorie.
- Encourageons les dividendes optionnels, avec un précompte mobilier réduit sur un dividende payé en actions.
- Attaquons-nous au régime de faveur fiscal des comptes d’épargne : au lieu de fixer un seuil de produits d’intérêts exonérés d’impôt (960 € cette année), définissons un montant maximal sur lequel aucun impôt n’est dû, par exemple 20.000 €. De cette manière, plus le taux est élevé, plus le compte d’épargne devient intéressant.
- Encourageons l’épargne à long terme, par exemple au moyen de faveurs fiscales pour un actionnariat s’étendant sur plusieurs années.
- Enseignons ! Faisons en sorte que les citoyens comprennent le bien-fondé d’une épargne efficace. Rendons obligatoire le cours « épargne et investissement » à partir de seize ans.
- Finissons-en avec ce bricolage politique qui produit sans cesse de nouvelles abominations fiscales. Garantissons enfin une stabilité fiscale de longue durée !
Ce tableau de mesures est loin d’être complet. Au demeurant, le gouvernement n’a pas besoin de toutes les introduire. Et il pourra parfaitement avoir d’autres idées que les sept présentées ci-dessus. Qu’il choisisse – mais nous espérons de tout cœur qu’il retiendra au moins le dernier point : la stabilité fiscale. Cela seul suffirait déjà à rendre les vingt prochaines années Keytrade Bank plus prospères que les vingt premières.
Pierre Huylenbroeck est l’auteur de « Onsterfelijk beursadvies » (un ouvrage reprenant les meilleurs conseils boursiers de tous les temps) et de « Iedereen belegger » (la bible des petits investisseurs). Il est également l’éditeur du Mister Market Magazine, un magazine bimensuel en ligne pour apprendre à investir. Téléchargez gratuitement un numéro d’essai (en néerlandais).
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